Un parti règne, tous les autres sont en prison.
Tomski, chef des syndicats soviétiques (1927)
« Encore un siècle de journalisme, et tous les mots pueront » annonçait Nietzsche il y a une éternité. Comme toujours, comme tous les grands instincts, Nietzsche voyait juste ; comme toujours, comme pour tous les grands instincts, la prescience de Nietzsche est dépassée par la monstruosité de notre époque. Une monstruosité que même le plus « pessimiste » — car c’est ainsi, de nos jours, qu’on qualifie les esprits lucides — des grands instincts du passé ne pouvait pas imaginer. Dénaturés, galvaudés, démonétisés comme jamais, les mots, aujourd’hui, ne se contentent plus de puer. Désormais, tous les mots mentent. Effrontément. Et en permanence.
Ainsi, tel individu qui déplore la fragmentation communautariste de la société, est raciste. Tel autre, qui rappelle l’évidence de la différence des sexes, est sexiste. Celui-ci, qui met en regard le pacifisme de l’homme exemplaire pour les chrétiens, Jésus, et le bellicisme de l’homme exemplaire pour les musulmans, Mahomet, est islamophobe. Celui-là, qui admire la grandeur de l’Occident des siècles passés, est colonialiste.
L’Occident contemporain est le lieu d’une confusion sans précédent des mots. Donc des esprits. Aucune « civilisation » avant la nôtre n’avait atteint un tel degré de chaos mental. Aucune n’avait poussé le crétinisme à de tels sommets. Le sens des mots a été détruit : le sens critique s’est évaporé : tous les discours sont désormais possibles. On assiste donc à la multiplication des assertions les plus tortueuses, les plus désordonnées, les plus contradictoires, sans que cela suscite le moindre étonnement de la masse endormie.
C’est ainsi qu’il y a trois semaines, nos bien nommés Commissaires européens crachaient leurs imprécations rageuses contre la Pologne, coupable selon eux de « violations grave de l’Etat de droit ». Des dictateurs qui s’émeuvent de violations de l’Etat de droit, c’est un peu Marc Dutroux qui s’émouvrait de viols d’enfants…
Mais cela ne surprend plus personne, que des tyrans qui construisent un avenir cauchemardesque à tout un continent hors de tout contrôle démocratique (puisqu’il n’y a pas un peuple européen), enfilent le costume de défenseurs des peuples. Cela n’apparaît plus paradoxal à aucun bipède occidental, qu’une poignée de lobbycrates qui bafoue continuellement la volonté des peuples d’Europe (la manifestation le plus infâme restant le viol du référendum de 2005 pour une Constitution européenne) donne des leçons de démocratie.
Quelques années plus tôt, le Premier ministre grec se vit empêcher de tenir un référendum sur l’appartenance de la Grèce à la zone euro : comme justification, on lui opposa que « la place du peuple grec dans l’euro est une conquête historique du peuple grec qui ne peut pas être mise en question. Ceci ne peut pas dépendre d’un référendum. » Ainsi était invoquée la souveraineté du peuple pour mieux la bafouer…
Aujourd’hui, c’est notre président Jupiter qui prétexte la nécessité de protéger la « vie démocratique » pour mieux la démolir : « J’ai décidé que nous allions faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique contre les fausses nouvelles […] En cas de propagation d’une fausse nouvelle, il sera possible de saisir le juge à travers une nouvelle action en référé permettant le cas échéant de supprimer le contenu mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l’accès au site Internet. »
Entendre exalter la démocratie par un individu dont la seule fonction est de dérouler l’agenda des eurodespotes bruxellois, a déjà quelque chose de cocasse. Mais entendre ce même individu expliquer doctement qu’une loi qui restreint la liberté d’expression est de nature à favoriser la vie démocratique, est proprement hilarant. Rions, alors. Profitons-en. Car ça ne durera plus longtemps : quand cette loi sera promulguée, ce sera bien fini de rire. Nous entrerons dans un nouveau monde… dans un nouveau régime…
Comment, en effet, qualifier un régime dans lequel l’Etat se mêle de la vie des idées ? Et ce de la manière la plus sommaire, la plus autoritaire qui soit, puisqu’il se présente comme le détenteur de la vérité ?
Comment qualifier un régime qui utilise la puissance de l’Etat pour réduire au silence ceux qui contestent sa vérité — pardon, la vérité ? Un régime qui recourt à l’élimination légale de ses adversaires politiques et idéologiques ?
Un tel régime peut-il encore être qualifié de « démocratique » ?
Toute personne douée d’un peu de recul historique répondra évidemment par la négative, tant sont flagrantes les similitudes entre le traitement que l’oligarchie jupitérienne entend appliquer à ses opposants, et les pratiques ayant eu cours lors des…
… restons entre esthètes : la suite est réservée à ceux qui savent vraiment apprécier ma plume. Explications :
« La seule manière de gagner de l’argent est de travailler de manière désintéressée. » Je révère Baudelaire, mais je dois me résoudre à cette désillusion : Baudelaire avait tort. Pour écrire, j’ai ruiné ma carrière. J’ai tiré un trait sur les gros salaires que me promettait mon gros diplôme de grosse école d’ingénieurs. Et je vais au devant de procès, d’intimidations, de saccages de ma vie sociale et de tourments en tous genres… J’en suis donc arrivé à me dire, peut-être orgueilleusement, que l’ivresse de mes textes valait bien celle d’un demi-demi de bière. Par mois… Et je me suis même dit, peut-être ingénument, que ceux qui m’appréciaient seraient heureux de pouvoir me témoigner leur gratitude par ce petit geste. Un petit geste pas si petit, à l’aune de l’effet qu’il aurait sur ma confiance et sur mon engagement… Un petit geste qui pourrait susciter de grandes choses… car si écrire est une activité solitaire, on est bien moins fécond lorsqu’on écrit dans le désert… Merci d’avance, donc, à ceux qui estimeront que mon temps, mes efforts, mes sacrifices, et surtout le plaisir qu’ils prennent à me lire valent bien ce petit geste de reconnaissance. Et d’encouragement. Car je ne sais pas si vous avez remarqué, mais en ce siècle barbare, les belles plumes sont une espèce de plus en plus rare… une espèce menacée…
Ce texte fait partie de l’ouvrage :