Extrait

À moins que… À moins que l’on envoie à cette Chrétienté lasse et gâtée une suprême raison de s’aimer. Un ultime rappel de tout ce que peut l’homme, dans un monde catholique. Un concentré à très haute dose du talent, de l’inspiration, de la folie des artistes qu’a produits et qui ont produit la civilisation catholique (le plus haut, le plus fidèle témoignage de la valeur d’une civilisation étant évidemment l’art qu’elle engendre : l’art que suscite une civilisation nous dit ce qu’elle est). Peut-être, oui, peut-être qu’un choc artistique, peut-être qu’un choc émotif est susceptible d’interrompre la marche de l’humanité occidentale vers le gouffre. Et puis, si ça ne fonctionne pas, ça lui fera au moins une fin grandiose. Un somptueux bouquet final, avant l’extinction des feux… Peut-être, même, que cela servira de façon différée… dans un, deux ou trois siècles… quand les générations futures contempleront ce dont l’Homme était capable dans un monde catholique, et le mettront en regard de ce qu’elles-mêmes produisent… Il y a dans Saint Luc une prophétie de Jésus annonçant que si l’on fait taire ses disciples, « les pierres elles-mêmes crieront ». Les cathédrales, les abbayes, les cloîtres et les églises sont l’accomplissement de cette prophétie. En ce début de troisième millénaire, les disciples se taisent ; le pape égare ses brebis ; mais les pierres catholiques crient. Elles nous rappellent la splendeur de l’Homme, quand il n’empêche pas que souffle en lui l’Esprit. Eh bien ce cri des pierres, redoublons-le d’un cri du cœur, voilà sans doute ce que s’est dit Dieu, pour nous envoyer Mozart. Le cri d’un cœur joyeux. Et d’un cœur harmonieux. Le cri d’un cœur prodigieusement habile à exprimer les souffrances et les joies, les tragédies et les triomphes de la vie humaine. Un cœur souverainement intelligent, bien sûr, mais avant tout un cœur chaleureux. Un cœur généreux. Un cœur réconfortant. « Étendre la joie au détriment de la tristesse », telle sera sa mission première… Pour que la consolation, pour que l’allégresse, pour que l’ivresse d’un monde qui laisse une place à Dieu parviennent jusqu’à nous, mornes fantômes atones vivant une vie bovine, car niant notre part divine. Mozart est en mission spéciale. Commanditée par Dieu. Il vient sur Terre livrer un ultime témoignage de la grandeur de l’Homme en régime catholique, avant l’entrée dans la Modernité ratatineuse. Mozart est le dernier inventaire avant liquidation. Un super-concentré d’art occidental, qui condense en lui seul 1 500 ans de beauté catholique. En Mozart tous les courants, tous les artistes, tous les génies de tous les siècles viennent se récapituler. Mozart, c’est la Renaissance et le baroque : l’élégance et la puissance. C’est le roman et le gothique : la naïveté et la majesté. C’est la piété attendrissante de Florence, et la solennité triomphante de Rome. C’est à la fois les bâtisseurs de cathédrales — ces génies anonymes —, la dream team de la Renaissance et les géants du baroque. Mozart, c’est la fougue de Rubens et la grâce de Raphaël. C’est une tornade méticuleuse. Un tumulte ordonné. C’est la minutie de Vermeer, et l’ampleur de Michel-Ange. Les fignolages de Van Eyck, et les embrasements du Tintoret. Mozart c’est l’harmonie de Palladio, et le raffinement de Borromini. Le mystère du Corrège, et la précision de Giambologna. C’est la pureté de Racine, et l’espièglerie de Molière. Mozart, c’est les plus hautes facultés des plus immenses artistes qui se marient harmonieusement, et miraculeusement, en un seul homme génial. Mozart est l’artiste suprême, qui contient tous les autres et qui les dépasse tous. Mozart est le sommet de l’art occidental.

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