Sur les conseils avisés d’un aimable lecteur, je republie mon Trissotin 2017 en l’expurgeant de la partie relative à feu François Fillon, tant il est vrai – qu’on me pardonne cette peu glorieuse bouffée d’autosatisfaction – que ce texte « n’a pas pris une ride » ; et puis, heureux hasard, c’est aussi l’occasion d’un modeste hommage à l’immense Molière, né il y a tout juste quatre siècles (et un jour) :
Molière est éternel.
Comme tous les grands écrivains, il capte dans ses personnages ce que l’homme a de permanent ; ce qui, par-delà les époques, les cultures et les mœurs, se manifeste immanquablement, sous des masques divers.
Il n’y a en effet que les progressistes et les incultes — mais c’est la même chose — pour croire que l’homme change fondamentalement ; il n’y a que les moulins à stéréotypes contemporains pour « penser » qu’il n’y a pas d’invariants anthropologiques : de tronc commun éternel à partir duquel se développent les branches, éphémères, propres à chaque époque.
Molière est un écrivain ; cela suffit à le différencier des pitres écrivassiers qui, de Marc Levy à Jean d’Ormesson, empoisonnent les cerveaux contemporains avec leur prose incolore, plate et sans vie.
Molière est un écrivain ; c’est pour cela que, trois siècles et demi après sa mort, il est bien plus vivant que tous nos graphomanes contemporains. C’est pour cela qu’à lui seul, il nous apporte sur notre temps un éclairage bien plus précieux que tous ces impotents réunis.
C’est parce qu’il est un écrivain que, trois siècles et demi après sa mort, il est infiniment plus actuel que tous ces anti-artistes qui tomberont dans l’oubli dès que le soleil médiatique se couchera sur leur imposture.
Il faut lire Molière, donc. Le lire et le relire. La vie est trop courte pour perdre son temps à ne pas lire Molière.
D’autant qu’en vérité, on gagne un temps fou, à lire Molière. On prend un plaisir fou, et on gagne un temps fou ; car on comprend en une comédie ce que d’autres expriment péniblement sur plusieurs centaines de pages, sans style et sans clarté. Et puis surtout, en lisant Molière, on réalise que les protagonistes de notre époque ont déjà été décrits, pour une large part. Décrits, analysés et mis en boîte.
Pour ne prendre qu’un exemple, il est un personnage qui parcourt l’ensemble de l’œuvre de Molière, et qui a pris corps aujourd’hui. Un personnage que Molière fait inlassablement revenir dans ses comédies. Un personnage qui fascine Molière jusqu’à l’obsession car, outre son potentiel comique inépuisable, il est un concentré de nature humaine. Il incarne ce que l’homme a en lui de moins glorieux : cet étonnant mélange de narcissisme et de vacuité ; ce puissant mariage entre la médiocrité et l’autosatisfaction. Ce personnage, c’est Mascarille dans Les Précieuses ridicules ; dans Le Misanthrope, il prend les traits d’Oronte; et dans Les Femmes savantes, il s’appelle Trissotin. C’est le pédant ; le petit marquis inepte et prétentieux, qui s’admire d’autant plus qu’il est plus médiocre.
C’est l’homme vide de culture, mais plein de certitudes. Celui qui « sait tout sans avoir jamais rien appris ». Celui à qui le savoir et la compréhension du monde viennent « naturellement, sans étude ».
C’est celui qui a un avis sur tout, sans avoir jamais réfléchi à rien. Celui qui affirme d’autant plus fermement qu’il ignore tout de son sujet ; qui assène d’autant plus catégoriquement qu’il n’a pas d’argument.
Celui dont l’assurance est proportionnelle à l’ignorance.
Cet homme a une tellement haute image de lui-même qu’il n’envisage pas qu’il lui soit nécessaire de travailler, avant de la ramener. Non. Aussi inconsistant que sûr de lui, il parle sans cesse, mais ne pense jamais. Le problème, c’est que n’ayant rien à dire, il est condamné à produire des phrases qui ne disent rien. Des phrases pleines de mots, mais vides de sens.
« Il faut que l’émergence de cette diversité qu’est la société française, elle reste dans la vibrance de cette diversité. » Des phrases ronflantes, boursouflées, verbeuses, où l’abolition de toute structure et l’inflation de mots pompeux servent à masquer l’absence de contenu. « Ce qui constitue l’esprit français, c’est une aspiration constante à l’universel, c’est-à-dire cette tension entre ce qui a été et la part d’identité — cette ipséité stricte — et l’aspiration à un universel, c’est-à-dire à ce qui nous échappe. » Des phrases brumeuses, vaguement lyriques, dont aucune signification n’émerge, mais alors assénées avec conviction pour faire croire qu’elles recèlent un sens et une cohérence, quand elles ne veulent rigoureusement rien dire. « La réconciliation cohérente que je propose et le projet progressiste assumé sont de nature à réveiller des initiatives très fortes au niveau de la société. »
Tout le monde le connaît, Trissotin. Tout le monde a déjà eu le malheur de voir ce morveux narcissique répandre son arrogance et son inculture sur un plateau de télévision ou dans Télérama. Et dans les grandes villes — singulièrement à Paris —, ce sont des bataillons de Trissotin que l’on croise en terrasse, dans les cafés et dans les restaurants. On a renommé « bobos » ces coquets vaniteux, mais ça ne change rien : ce sont des Trissotin. D’ailleurs, vous verrez, ils s’apprêtent à voter massivement pour leur sosie. Pour Master Trissotin. C’est-à-dire Emmanuel Macron. Emmanuel Macron, saint patron des bobos. Et, accessoirement, auteur des perles linguistiques ci-dessus.
Molière a bien connu Emmanuel Macron. Jusqu’au doux timbre de sa voix. Vous ne me croyez pas ? Et pourtant, il en dresse le portrait précis dans Les Femmes savantes :
« Tous les propos qu’il tient sont des billevesées ;
On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé,
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé. »
De même, Molière a très bien connu le fan-club — pardon, les militants — d’Emmanuel Macron. Il les a bien connus, et très précisément décrits. C’est dans Les Femmes savantes qu’on trouve le portrait rigoureux de ces gens qui crient au génie à chaque fois que leur idole enfonce une porte ouverte ; ces dévots qui pâment d’extase dès que leur gourou ouvre la bouche, même et surtout si c’est pour proférer une grosse banalité :
« L’agriculture, ce sont les femmes et les hommes qui nous nourrissent. »
« Ah ! le joli début ! »
« Je veux un président qui préside et un gouvernement qui gouverne. »
« Ah ! Tout doux, laissez-moi, de grâce, respirer. »
« Je considère que pour accéder à la fonction présidentielle, il faut se présenter à l’élection présidentielle. »
« Donnez-nous, s’il vous plaît, le loisir d’admirer. »
« L’argent que j’ai gagné dans ma vie, je l’ai gagné. »
« On se sent à ces vers, jusques au fond de l’âme,
Couler je ne sais quoi qui fait que l’on se pâme. »
… restons entre esthètes : la suite est réservée à ceux qui savent vraiment apprécier ma plume. Explications :
« La seule manière de gagner de l’argent est de travailler de manière désintéressée. » Je révère Baudelaire, mais je dois me résoudre à cette désillusion : Baudelaire avait tort. Pour écrire, j’ai ruiné ma carrière. J’ai tiré un trait sur les gros salaires que me promettait mon gros diplôme de grosse école d’ingénieurs. Et je vais au devant de procès, d’intimidations, de saccages de ma vie sociale et de tourments en tous genres… J’en suis donc arrivé à me dire, peut-être orgueilleusement, que l’ivresse de mes textes valait bien celle d’un demi-demi de bière. Par mois… Et je me suis même dit, peut-être ingénument, que ceux qui m’appréciaient seraient heureux de pouvoir me témoigner leur gratitude par ce petit geste. Un petit geste pas si petit, à l’aune de l’effet qu’il aurait sur ma confiance et sur mon engagement… Un petit geste qui pourrait susciter de grandes choses… car si écrire est une activité solitaire, on est bien moins fécond lorsqu’on écrit dans le désert… Merci d’avance, donc, à ceux qui estimeront que mon temps, mes efforts, mes sacrifices, et surtout le plaisir qu’ils prennent à me lire valent bien ce petit geste de reconnaissance. Et d’encouragement. Car je ne sais pas si vous avez remarqué, mais en ce siècle barbare, les belles plumes sont une espèce de plus en plus rare… une espèce menacée…
Ce texte fait partie de l’ouvrage :
J'ai relu ce texte avec le même plaisir qu'il y a cinq ans. Merci !
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D'après Molière, Le malade imaginaire (acte III, scène 10).« TOINETTE. — Qui est votre médecin ?ARGAN. — Monsieur Purgon.TOINETTE. — Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?ARGAN. — Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.TOINETTE. — Ce sont tous des ignorants. C'est du Covid que vous êtes malade.ARGAN. — Du Covid ?TOINETTE. — Oui. Que sentez-vous ?ARGAN. — Je sens de temps en temps des douleurs de tête.TOINETTE. — Justement, le Covid.ARGAN. — Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux.TOINETTE. — Le Covid.ARGAN. — J'ai quelquefois des maux de cœur.TOINETTE. — Le Covid.ARGAN. — Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.TOINETTE. — Le Covid.ARGAN. — Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'étaient des coliques.TOINETTE. — Le Covid. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?ARGAN. — Oui, monsieur.TOINETTE. — Le Covid. Vous aimez à boire un peu de vin.ARGAN. — Oui, monsieur.TOINETTE. — Le Covid. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir ?ARGAN. — Oui, monsieur.TOINETTE. — Le Covid, le Covid, vous dis-je ! »
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C'est effectivement très bon…
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ha ha haSur les médecins en général il y en a de bonnes aussi dans « le médecin malgré lui »
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Grand merci à vous, non seulement d'avoir accédé à ma suggestion, mais surtout d'avoir écrit ce texte.. Merci encore JJM
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C'est moi qui vous remercie.
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Lu ce texte avec délectation 😦
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Excellent et tellement vrai Nico!Malheureusement les Trissotin sont éternels …
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