Ils beuglent. Ils hurlent. Ils frémissent. Ils bondissent. Ils cognent, ils mutilent, ils massacrent, ils saccagent, ils brûlent, ils violent. Lynchages à dix contre un, tournantes à trente sur une, coups de couteaux mortels pour un mauvais regard, défonçages au marteau pour un mot de travers, enfoncements de crâne pour une Marlboro, mâchoire pulvérisée pour voler un iPhone, œil broyé dans l’orbite à grands coups de talon, barres de fer en plein pif parce que j’aime pas ta tronche. Ils vont d’un viol à l’autre, d’une agression à l’autre, d’un tabassage à l’autre, d’un homicide à l’autre. Ils sont infatigables. Ils ne s’arrêtent jamais. Leur « vie » est une succession de nuisances. Leur existence est une nuisance. Sauter à pieds joints sur la tête d’un boloss, incendier les voitures de braves gens qui ne leur ont rien fait (qu’ils ne connaissent même pas), tendre des embuscades aux keufs, ces enkulés, balancer des frigos du katorzième étage pour écraser ces porcs, fondre en meute au hasard sur un babtou fragile et le saigner à blanc, attraper une ado de treize ans, lui exploser le nez puis la traîner dans un local à poubelles et rameuter une équipe de gadjos stoc pour voir comment elle mouille, cette sale pute. La ravager pendant cinq. Huit. Dix heures. Et en fin de supplice, la finir à la pisse. Puis la laisser, gisante, orifices dévastés, au milieu des poubelles. Quelques rires, au loin… cris de bête… s’estompent… disparaissent. C’est fini. Pour cette fois.
Ces gens-là ne sont pas des animaux : ce sont des monstres. C’est-à-dire des hommes sans Surmoi. De purs Ça. Le Ça, instance pulsionnelle de la personnalité où l’individu puise son énergie vitale. Le Surmoi, qui canalise ces pulsions. Rend envisageable leur insatisfaction. Rend tolérable la frustration. Le Surmoi, bride du Ça. Garde-fou des désirs, sans lequel l’être humain n’est qu’un esclave et un tyran. Esclave de ses pulsions, qui tyrannise(nt) les autres.
C’est l’énergie inépuisable du Ça lâché sans bride qui se manifeste dans la nuisance inlassable des racailles. C’est ce Ça impétueux qui s’exprime, dans leur capacité infinie de dévastation ; c’est ce Ça sans entrave qui leur fournit les ressources illimitées pour détruire, incendier, voler, violer, mutiler, défigurer, tuer. Toujours assouvis, et jamais rassasiés, leurs caprices sans cesse trouvent un nouvel objet. Et leur satisfaction ne peut être ajournée. Au moindre désir, ils violent ; au moindre accroc, ils frappent. Jusqu’à la mort. Et sans état d’âme. En mai 2019, quai Voltaire à Paris, un automobiliste arrêté à un feu rouge fut percuté par un bus touristique. Il sortit de sa voiture, et se dirigea vers la cabine du chauffeur pour demander des explications à ce télescopage inattendu. Qu’advint-il, à votre avis ? Ce branleur de chauffeur fit-il profil bas ? Demanda-t-il pardon d’avoir connement ratatiné le postérieur d’une bagnole à l’arrêt ? Que nenni : vexé d’être grondé, il tourna le volant, broya l’accélérateur et aplatit l’automobiliste entre son bus et un bus attenant. Crâne éclaté. Cage thoracique pulvérisée. Compote. Finito. Bagnole bignée, conducteur écrabouillé : c’est ce qu’on appelle la double peine.
Morale de cette histoire ? On n’engueule pas un bébé quand il a quarante ans, et se trouve au volant d’un bus de 10 tonnes. Car ce chauffeur de bus sans gêne et sans pitié était un gros bébé. Un monstre d’égoïsme, ivre de toute puissance, ne pouvant tolérer qu’on ose le critiquer. La tempérance et l’humilité ne font pas partie des attributions du bébé ; l’empathie non plus. Ses pulsions font la loi : autrui n’existe pas. Toute personne qui entrave l’assouvissement de ses désirs, refuse de contribuer à son bon plaisir, ou désavoue ses illusions toute puissance, s’expose à une flambée de rage immédiate et féroce. Souvent jusqu’à la mort. Et c’est ainsi qu’on apprend que « Malik et Karim sont aux assises pour avoir tiré 15 balles de Kalachnikov sur une friterie pour un hamburger servi froid » ; qu’« Axelle Dorier, jeune aide-soignante de 23 ans, est morte après avoir été traînée sur 800 mètres par une voiture dont elle avait blâmé les passagers qui venaient d’écraser son chien » ; que « Philippe Monguillot, chauffeur de bus à Bayonne, a été tabassé à mort par 3 usagers parce qu’il leur avait demandé de porter le masque. » Tous ces faits divers atroces, tous ces déchaînements de violence gratuite constituent la chronique prévisible d’un monde infantile. Un monde non pas d’êtres humains mûrs et accomplis, mais de bébés dans des corps d’adultes. De voraces insatiables sans cesse assaillis par des pulsions funestes. Qui explosent à la moindre contrariété. Tuent pour une cigarette. Laissent leur prochain tétraplégique pour un regard de travers. Répondent à un coup de klaxon par des coups de marteau. Cette impulsivité, c’est celle du bébé. Cette absence de compassion, c’est celle du bébé. Cette barbarie, c’est celle du bébé. Le bébé, créature désinhibée à mort, fanatiquement égocentrique, obnubilée par son nombril : incapable, donc, de tenir compte du réel et d’en intégrer les contraintes, les exigences, les limites. Incapable, plus fondamentalement, de fixer son attention sur un objet extérieur — puisque psychiquement, un tel objet n’existe pas. Observez bien les racailles : jamais vous ne les verrez concentrées. Attentives. Appliquées. Jamais vous ne les verrez créer. Jamais vous ne les verrez penser. Agitées, gigoteuses, trépidantes, frétillantes, gueulant, tapant, hurlant, violant, sniffant, snapchattant, instagramant, crachant, tabassant, éborgnant, balafrant, poignardant, elles vivent dans un zapping permanent. Dans l’univers pervers de l’hyper-éphémère. Cette sotte effervescence, cette fébrilité idiote, cette dissipation permanente (demandez à leurs profs), c’est celle du bébé. Du bébé pré-œdipien. Qui, à cause d’une figure paternelle absente ou défaillante, n’a pas résolu son complexe d’Œdipe. Méconnaît donc l’autorité. Et récuse toute contrainte, toute règle, tout frein à ses caprices. Croit que tout lui est dû. Qu’il peut tout exiger. Qu’il doit tout obtenir. Et n’est par conséquent qu’une bonbonne bouillonnante de pulsions infoutue de tenir en place. Le psychisme des racailles ne diffère pas de celui des bébés pré-œdipiens : c’est là l’essence de leur nuisance. Toutes les exactions de…
… restons entre esthètes : la suite est réservée à ceux qui savent vraiment apprécier ma plume. Explications :
« La seule manière de gagner de l’argent est de travailler de manière désintéressée. » Je révère Baudelaire, mais je dois me résoudre à cette désillusion : Baudelaire avait tort. Pour écrire, j’ai ruiné ma carrière. J’ai tiré un trait sur les gros salaires que me promettait mon gros diplôme de grosse école d’ingénieurs. Et je vais au devant de procès, d’intimidations, de saccages de ma vie sociale et de tourments en tous genres… J’en suis donc arrivé à me dire, peut-être orgueilleusement, que l’ivresse de mes textes valait bien celle d’un demi-demi de bière. Par mois… Et je me suis même dit, peut-être ingénument, que ceux qui m’appréciaient seraient heureux de pouvoir me témoigner leur gratitude par ce petit geste. Un petit geste pas si petit, à l’aune de l’effet qu’il aurait sur ma confiance et sur mon engagement… Un petit geste qui pourrait susciter de grandes choses… car si écrire est une activité solitaire, on est bien moins fécond lorsqu’on écrit dans le désert… Merci d’avance, donc, à ceux qui estimeront que mon temps, mes efforts, mes sacrifices, et surtout le plaisir qu’ils prennent à me lire valent bien ce petit geste de reconnaissance. Et d’encouragement. Car je ne sais pas si vous avez remarqué, mais en ce siècle barbare, les belles plumes sont une espèce de plus en plus rare… une espèce menacée…
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