Patriotisme à géométrie variable


Il n’est de haine plus féroce que celle de la médiocrité pour l’excellence. L’absence de talent excite chez ceux qui en sont atteints une jalousie délirante pour l’être puissant, capable et raffiné qu’est l’artiste véritable. Vexés, humiliés par ce miroir inversé d’eux-mêmes, par cette preuve vivante, par contraste, de leur propre insipidité, ils ne ratent pas une occasion de se venger. Mais comme ils n’ont aucun talent — surtout pas littéraire — c’est toujours avec les mêmes armes — vulgarité, injures, vociférations hystériques — que ces piteux montent à l’assaut. Et qu’ils se vautrent invariablement. Mais leur ressentiment étant aussi intarissable que ses causes, et le ridicule ne tuant pas, ils remettent ça inlassablement.

Des attaques de ces nains contre des géants résulte un comique involontaire assez savoureux, que le dernier exemple en date ne viendra pas contredire. Depuis quelques jours, en effet, on assiste au cocasse spectacle de l’attaque, par une meute de petits merdeux colériques, d’un des plus grands artistes que la France ait compté : Gérard Depardieu. Tout ce que notre pays compte de sans-talents, d’impuissants, de châtrés, de nuls, y va de son glaviot contre cet homme qui a le tort, après avoir versé plusieurs dizaines de millions d’euros au fisc français, de partir s’installer hors de France — on aurait pu imaginer crime plus atroce. Comme de juste, les petits flics de Libération ne sont pas en reste dans cette chasse à l’homme aussi dérisoire qu’abjecte. Fidèles à leurs habitudes, ils tendent une énième fois le micro à la médiocrité et à la bassesse en publiant un texte ordurier du dénommé Philippe Torreton, obscur acteur à la filmographie aussi abondante qu’insignifiante. Cet embryon d’artiste a toujours enragé devant le talent, la puissance, la réussite, toutes choses qui lui sont obstinément refusées. Gérard Depardieu incarnant tout cela — et infiniment plus que cela — le moment lui semble venu de se venger. Sans compter que c’est également l’occasion de faire passer son néant à la lumière, et de briller enfin de tous ses feux de paille.
Notre insignifiant acteur enfile donc son costume favori, celui de la grande conscience humaniste et vertueuse, et se lance avec enthousiasme. D’emblée, cependant, il se casse la gueule en révélant au lecteur sa tragique absence d’élégance : « Alors Gérard, t’as les boules ? », titre-t-il, visiblement très fier de lui. Cette phrase lamentable, ce condensé de haine impuissante et de grossièreté militante, résume tout le texte qui va suivre. Il s’en exhale la délectation du vautour, du charognard qui croit voir sa proie fléchir. On y sent l’esprit de vengeance qui bouillonne, s’anime et sonne la charge, trop heureux d’enfin obtenir sa consolation à l’existence d’êtres supérieurs, cet insupportable affront à son ego. D’ailleurs, si on voulait psychanalyser l’individu, on en viendrait vite à parler de rage de tuer le père…
Mais n’allons pas si loin. Laissons de côté le psychisme de ce cabotin destiné à l’oubli : il n’a par lui-même aucune importance. Là où il nous intéresse, en revanche, c’est qu’il incarne jusqu’à la caricature le gauchiste du vingt-et-unième siècle, avec ses ridicules jappements moralisateurs, ses indignations dans le sens du vent (Indignez-vous !), sa nervosité incurable, son arrogance inébranlable, sa certitude d’être un artiste, ses leçons de morale péremptoires, son humanisme en carton-pâte et surtout, surtout, ses délicieuses contradictions. C’est un plaisir ineffable et sans cesse renouvelé d’observer ce clown, empêtré dans son chaos mental, fustiger ce qu’il adorait quelques heures auparavant, brailler contre ce qu’il encensait la veille, vociférer contre ce qu’il portait aux nues la seconde précédente sans jamais s’apercevoir — c’est là qu’est son comique — du rapport entre les causes qu’il chérit et les effets qu’il déplore.
Quoi, il se scandalise que Gérard Depardieu quitte la France ? Mais n’est-ce pas lui qui d’ordinaire fustige les frontières, les nations et autres concepts nauséabonds ? N’est-ce pas lui qui aspire à une planète remplie de citoyens du monde ? Qu’a fait Depardieu, sinon exercer sa liberté de circulation et d’installation, principe si cher aux philanthropes de plateaux-télé quand il s’agit de soutenir le juteux business de l’immigration clandestine ? Oui, qu’a-t-il fait, Depardieu, sinon suivre la récente injonction de Libé à ses lecteurs de quitter la France (« Barrez-vous ! », titraient-ils, élégamment eux aussi), ce pays de fachos, d’esprits étriqués, de beaufs arriérés, d’abominables crypto-nazis, de vichyssois moisis, stupidement nationalistes, pire, patriotes ! Ah non, pardon : patriote, c’est bien maintenant. Quoi que… on ne sait plus trop, à force… tout ça demande confirmation… Mais si : aussi étrange que cela paraisse, ce mot qui, chez tout gens de gauche qui se respecte, ne suscitait jusqu’alors que gloussements moqueurs et sarcasmes ricaneurs, est redevenu à la mode. Le patriotisme est à nouveau une valeur forte, même et surtout parmi ses plus farouches contempteurs rituels. Eux que, depuis trente ans, on n’a jamais entendu prononcer ce mot, sauf dans un ricanement de mépris ; eux qui ne cessent de dénigrer la France, de vomir son passé, de salir ses grands hommes, d’insulter ses citoyens qui ne votent pas comme eux ; eux qui systématiquement se prosternent devant les revendications communautaristes ; les voici soudain devenus patriotes. D’où vient cette fulgurante, cette miraculeuse réhabilitation du patriotisme ? Que s’est-il passé pour que ce vocable n’évoque subitement plus les heures les plus sombres de notre histoire ? Comme on peut s’y attendre, ce n’est évidemment pas du côté des grands idéaux qu’il faut chercher l’explication, mais de l’opportunisme le plus mesquin. Depuis de longues années, les impotents au pouvoir, incapables de réduire leurs dépenses, se livrent à une spoliation en règle des contribuables. Notre président potelé et son redoutable gouvernement n’échappent bien sûr pas à la règle : pour faire accepter à leurs administrés l’authentique razzia auxquels ils les soumettent, il leur faut une excuse, une justification. Mieux, un chantage. Ce sera celui au patriotisme : ils ne sont plus à une escroquerie près. Avec un culot qui force l’admiration, les voici donc qui s’emploient à draper dans le patriotisme ce qui n’est que trivialement fiscal — et dont on peut d’ailleurs se demander si ses emplois sont bien tous patriotiques… Il est à craindre, cependant, que la ficelle soit ici encore un peu trop voyante. S’en apercevront-ils ? Comprendront-ils un jour qu’ils ont perdu toute crédibilité ? Que plus personne ne les écoute ? Rien n’est moins sûr : quand on vit entre sosies, les illusions mettent longtemps à se dissiper…
Quoi qu’il en soit, si cette non-affaire a un intérêt (en plus de permettre à ces pauvres journalistes de vendre du papier), c’est qu’elle est l’occasion de compléter le portrait du gauchiste contemporain. De ce dernier, on connaissait depuis longtemps l’indignation, la compassion, la tolérance, l’antiracisme à géométrie variable. On peut maintenant y ajouter le patriotisme. Et se délecter à l’idée de toutes les bouffonneries, avalages de chapeaux et discours incohérents auxquels cette nouvelle caractéristique va donner lieu. C’est la bonne nouvelle de cette pénible affaire : on n’est pas près d’arrêter de rire.

Les nouveaux moralistes


Celui qui promettrait à l’humanité de la délivrer de la sujétion sexuelle, quelque sottise qu’il dise, serait considéré comme un héros.
Freud.
Steve McQueen est un puritain qui s’ignore. Oh, rien de grave : il est à cet égard comme la plupart des gens de son époque. Comme la plupart des gens de son époque, il est aussi un artiste, c’est-à-dire quelqu’un qui ne se connaît pas de destinée plus exaltante que de coller scrupuleusement à l’air du temps et de chanter sans fin ses louanges. Il y a longtemps, en effet, que l’art n’est plus « un effort patient pour ne pas donner son consentement à l’ordre du monde » ; cette conception, qui a donné naissance à tant de chefs-d’œuvre, ne pouvait perdurer que tant que l’homme ne se croyait pas parvenu à la perfection, et disposait encore d’un esprit d’examen lui permettant de remettre en cause les propagandes, les stéréotypes et les conditionnements de son époque. Cette période est révolue : l’artiste, aujourd’hui, n’a plus aucune distance critique vis-à-vis du monde qui l’entoure ; il n’est plus qu’un perroquet donneur de leçons. Pontifier à n’en plus finir est sa consolation pour être devenu incapable de créer quoi que ce soit de consistant et de durable. De toute façon, durer n’est pas son but ; sur son lit de mort, il suffira à son bonheur d’avoir contribué au Programme, d’avoir été un bon petit prosélyte de la religion du Moderne, et d’avoir pris part à un maximum de ses expéditions inquisitrices.
Steve McQueen, donc, vient de réaliser Shame. Quel est le genre de ce film ? Dans quelle catégorie le classer ? Action, nichons, science-fiction ? Mais non, enfin : approbation ! C’est ça, voyons, le genre en vogue ! Chaque semaine, des bataillons de sosies-réalisateurs inondent le marché du cinéma de leurs œuvres de dévotion au Moderne. Ils disent oui, oui et encore oui. Oui, en l’occurrence, à la psychiatrisation de la libido, à sa diabolisation, à sa stigmatisation—pour parler le somptueux langage de notre temps. Oui à l’humiliation publique (Shame !) de tous ceux qui contreviennent aux sommations médiatiques de trouver son bonheur dans et par le couple, de ceux chez qui le mensonge romantique ne prend pas, ceux qui ont compris que l’épanouissement à deux, l’authenticité dans les relations et le lyrisme fusionnel étaient des utopies pour post-humains asexués. Oui à la diffamation sans risque de ceux qui osent encore avoir une vie sexuelle débridée—mais c’est un pléonasme. Oui au règne sans partage du puritanisme qui, sous les masques variés du féminisme, du culte du corps, de l’obsession de la santé, de la religion du couple et de la bébélâtrie, impose partout sa vision funèbre d’une humanité débarrassée des désordres, des contradictions, des tortuosités et des délices de la vie sexuelle.
Ce film, Shame, est une énième contribution au Programme de rééducation du mâle, de sa mise aux normes du matriarcat occidental. Il continue, de manière particulièrement féroce, l’offensive puritaine lancée en mai 68 contre la vie sexuelle. C’est de cette époque, en effet, que date l’agonie de la volupté : contrairement à ce que racontent les évangiles médiatiques, les années 70 n’ont pas été une période magique de libération des mœurs, en tout cas pas au sens où la presse prosternée veut le faire croire. Il n’y a qu’une chose dont les mœurs ont été « libérées » en 68, c’est de leur assignation à demeurer dans la sphère du secret, du non-dit, du privé, autrement dit dans ce qui, précisément, garantissait leur liberté. Par nature, par définition même, la vie sexuelle ne peut s’épanouir que tant qu’elle demeure intime, préservée des intrusions de la communauté. Dès qu’on en parle trop, on l’affadit, on l’édulcore, et on la tue. Toute la démarche des imposteurs de 68 a consisté à exploiter cette fragilité en faisant monter la sexualité, quintessence du privé, sur la scène publique, à faire mine de la célébrer pour finalement la transformer en un banal sujet de société… Tout le monde s’en est mêlé, la vie sexuelle de chacun est devenue l’affaire de tous, et la collectivité a fini, dans ce domaine aussi, par avoir le dernier mot. Le résultat est qu’aujourd’hui, le sexe est partout, et la vie sexuelle nulle part. Comme tant d’autres choses à notre époque, elle a gagné en publicité ce qu’elle a perdu en réalité. D’ailleurs, cette semaine, dans je ne sais plus quel hebdomadaire, une sexologue (à moins que ce ne soit une psycho-sexoanalyste ? ou une thérapeute de couple ? ou une experte en mécanique du couple ? ou encore une autre de ces professions burlesques qui se sont développées, comme par hasard, dans la foulée de 68 ?) vend la mèche avec une touchante ingénuité : « Tous les sexologues et psychothérapeutes spécialisés dans le couple s’accordent sur ce point : alors que la question du plaisir à atteindre était le grand motif de consultation des années 1970 à 1980, aujourd’hui c’est celle du désir qui s’impose ». Bien sûr, elle ne voit pas le lièvre qu’elle est en train de lever. Ses intervieweurs non plus : dans la pensée des médiatiques (il faut le dire vite), les phénomènes, les mentalités, les tendances sont des êtres orphelins qui apparaissent et se succèdent sans aucun lien entre eux. Personne, donc, ne remarquera qu’au lieu d’« alors que », c’est « parce que » qu’il eût fallu écrire…
Quoi qu’il en soit, ce témoignage parmi tant d’autres indique que la guerre à l’érotisme arrive à son terme. Les frontières entre vies privée et publique sont détruites, l’intimité liquidée, le sexe bien dilué dans la collectivité. Chez la plupart des vivants, la libido n’est plus qu’un concept obscur et obsolète ; il suffit à ces zombis de pratiquer docilement la sodomie conjugale et d’obtenir de bons scores aux tests sexo de leur presse de rééducation pour s’estimer furieusement libérés. Tant pis pour eux.
Et pourtant, à cette débandade générale, à ce remplacement fulgurant du sexe par son exhibition, il demeure quelques réfractaires, quelques individus adulteschez qui toute vitalité n’a pas encore été ruinée par le puritanisme forcené de notre époque. Pour ces grands malades, ces psychopathes, ces monstres, la stratégie consistant à feindre d’exalter la sexualité pour mieux l’éparpiller dans le débat public n’a pas fonctionné. Il faut donc passer à des méthodes plus musclées : non plus flatter continuellement leurs instincts jusqu’à les émousser, mais leur en faire éprouver de la honte. Sévèrement. Agressivement. Péremptoirement. Shame. Un certain nombre de personnalités du monde politique, des médias, du show-biz ou du golf en savent quelque chose…
Dans le jargon totalitaire, de telles méthodes d’intimidation s’appellent faire un exemple. Et ce film, Shame, n’en est qu’une variante. Car peu importe, au fond, que la chasse à l’homme prenne pour cible un individu réel ou un personnage de cinéma : ce qui compte, c’est que le message passe, que le dressage avance, que la terreur de passer pour un détraqué se répande chez tous ceux dont la libido n’est pas encore tout à fait éteinte. Notons au passage que c’est à ce genre d’opérations que se repère que le totalitarisme dans lequel nous vivons est sans précédent : les totalitarismes historiques se limitaient à dire aux gens comment penser ; le nôtre leur dit aussi comment baiser. On n’arrête pas le progrès.
Shame, authentique film de propagande, participe donc pleinement au grand programme d’uniformisation de la pensée et des comportements les plus intimes. Il débouchera, n’en doutons pas, sur le redoublement de la persécution d’une minorité qui, elle, ne suscite jamais de compassion : les derniers humains sexués. Et en particulier les hommes. Mais leur résistance, comme le reste, ne s’annonce pas bien vigoureuse : déjà, la plupart des bipèdes masculins ont renoncé avec entrain à leur sexualité, ce fardeau, pour se consacrer pleinement aux tâches ménagères, devenir des cuisinières hors-pair, et exploser leurs quotas de congés paternité pour nouer des liens privilégiés avec leur têtard. On en voit de plus en plus déambuler dans les rues, comme ça, hagards, seuls, mais alors fiers comme pas un de mener la poussette. Pendant que maman est on ne sait où, à faire on ne sait quoi… Pleurer sur son sort avec ses copines ? Consulter un psy ? Chercher un amant ? Préparer son divorce ? Mais non, enfin, impossible, quelles odieuses pensées avez-vous là ! Shame on you ! Confessez-vous sur le champ ! Allez ! Prenez votre chapelet, puis répétez après moi : « C’est très bien, les papas qui pouponnent. Vive les papas câlinous. De toute façon, tant qu’il y a de l’amour pour l’enfant, papa et maman sont interchangeables. La flambée du taux de divorce n’a rien à voir avec cette confusion entre les rôles sexués. Et encore moins avec les attaques médiatiques quotidiennes contre la vitalité sexuelle. Vite, que vienne le règne des rapports vrais, transparents, doux et aseptiques. Et qu’on nous délivre de tout mâle. Amen. »
Vous m’en ferez une dizaine.

OSEZ LE PENIS !


On accuse souvent les féministes de haïr le sexe masculin. C’est injuste. Elles sont, dans ce domaine, d’un paritarisme exemplaire : c’est tout le sexe qu’elles souhaitent voir disparaître. C’est l’érotisme qu’elles veulent abolir. C’est la possibilité même du désir qu’elles veulent supprimer. Le féminisme, ce n’est pas la guerre des sexes, c’est la guerre au sexe.
A ceux qui en douteraient encore, la dernière campagne de rééducation sexuelle lancée par le collectif « Osez le féminisme ! » apporte une preuve éclatante.
On peut ainsi voir, dans les rues de Paris, des affiches figurant un immense entrecuisse béant, dessiné avec une absence scrupuleuse de soin : quatre espèces de langues rouge sang, gigantesques, flasques, pendantes, censées symboliser les lèvres, sont surmontées d’un affreux barbouillage indiquant la toison pubienne. Nausée garantie. Qui se double d’étonnement quand je m’avise que ce désolant gribouillis ne ressemble à aucune des rencontres de mon existence pourtant juponnière. Et s’aggrave de colère quand je lis, sous cette hideuse représentation de la source plus ou moins lointaine de tous les délices de l’existence, le message suivant : « Osez le clito ! ». A l’extrême vulgarité du dessin, nos élégantes féministes ont donc décidé d’ajouter celle du texte. On ne se refait pas…
« Osez le clito ! », donc, voilà les ordres. Après avoir réussi l’exploit de désérotiser le fondement même de l’érotisme, ces sensuelles féministes nous enjoignent d’oser le clito. Et en effet, il faut oser, après l’avoir vu comme elles le voient. Qui aurait envie d’approcher d’une horreur pareille ? Quel être normalement constitué pourrait éprouver du désir face à cette vision cauchemardesque de l’organe le plus fascinant, le plus enivrant du corps féminin (et donc du corps humain, puisque le corps masculin n’est rien) ?
On le voit bien : sous couvert d’incitation à des pratiques sexuelles soi-disant peu répandues (on se demande d’ailleurs d’où nos féministes extralucides tirent cette information, et surtout de quel droit elles se mêlent de l’intimité des gens ; toujours ce prurit totalitaire qui démange les frustrés, les enragés, les jaloux, les grincheux, de régenter la vie privée des gens, c’est-à-dire de les rendre aussi malheureux qu’eux), ces « féministes » veulent l’éradication du sexe par exhibition jusqu’à l’écoeurement. Pour leur prochaine fausse campagne de promotion du clito(mais vraie campagne de vaccination contre le clito), je leur conseille de montrer une photo de cramouille ravagée par un herpès carabiné, ça ira plus vite.
D’ailleurs, en parlant de campagne publicitaire, je croyais avoir compris que les féministes se battaient farouchement contre la réduction de la femme à sa dimension sexuelle, et que la moindre image publicitaire représentant uncorps féminin légèrement vêtu (insulte à la dignité de la femme comme chacun sait, vous me le copierez cent fois) leur arrachait d’interminables caquets d’indignation. Fulminer contre les images publicitaires avilissantes pour les femmes et inonder les rues de gros plans d’entrecuisses béants, voilà qui ne manque pas d’originalité, ni de cohérence. Pas moins que de prétendre s’opposer à la transformation de la femme en objet sexuel et de ne parler que de son clito — et encore, avec une crudité, une grossièreté inouïes. Il faut en effet se rendre sur le site internet de ces vieilles filles illettrées pour prendre toute la mesure de leur vulgarité et de leur démence.
Qu’écrivent-elles, ces douces ? Eh bien d’abord, comme de juste, qu’elles sont pleines d’humour, débordantes de joie de vivre et pétillantes d’allégresse tourbillonnante. « Notre méthode ? Travail, humour et patience ». « Nous souhaitons afficher un féminisme joyeux, efficace, décomplexé, et surtout… connecté ».  (ça ressemble à quoi, un féminisme connecté ? Et connecté à qui ? A quoi ? Sûrement pas à ce que je pense). Il est toujours plaisant d’entendre les plus hargneux roquets, les plus amers rouscailleurs, les enragés désolants coléreux se présenter comme des êtres épanouis, ravis, pétulants, radieux. Quand quelqu’un éprouve le besoin impérieux de vous dire et de vous répéter qu’il est heureux et plein d’humour, vous pouvez être sûr que son malheur est extrême. Et qu’il va tout tenter pour vous faire identifier son intense détresse à la plus délectable plénitude. Son idée fixe est de vous rendre aussi hystérique et haineux que lui.
Ces féministes n’ont donc qu’un but : vous refiler leur ressentiment. Faire que vous aussi consacriez votre existence à rabâcher sans rire (bien que vous ayez beaucoup d’humour) que « le clitoris est l’objet de dénigrements », que c’est « un vrai sujet de société », et que surtout, surtout, le clitoris « ne va pas sans interroger fortement les fondements de notre société ». Que vous aussi déchiffriez des complots partout et ne trouviez rien de grotesque dans la thèse d’une entente secrète entre « littérature, philosophie et médecine », d’une conspiration au fil des siècles pour disqualifier la femme (tandis que la réduire à ses organes sexuels, en parler comme d’un clito sur pattes et en écrire le mode d’emploi à grand renfort de croquis dégueulasses n’est bien sûr pas la disqualifier) ; que vous aussi passiez votre temps à beugler contre une prétendue société patriarcale (disparue depuis longtemps, il n’y a qu’à voir dans la rue les bataillons de papas châtrés avec bébé en bandoulière) ; que vous aussi fustigiez rageusement la soi-disant différence des sexes qui est, tous les slips le savent, une construction purement culturelle — et sans jamais vous aviser que même si vous aviez raison, la culture de l’humanité ne tombant pas du ciel, elle a peut-être quelque chose à voir avec sa nature…
Nos adorables féministes aiment tellement l’humanité qu’elle ne rêvent que de la changer. Elles tiennent tellement à la liberté des femmes qu’elles leur interdisent de se sentir tout simplement complémentaires des hommes (et vice-versa, donc). Elles souhaitent tellement leur épanouissement sexuel que quand elles leur parlent de sexe, il n’est question que de biologie, de mensurations et de technique (« les deux bulbes vestibulaires mesurent environ 5 cm de long et se réunissent au-dessus du vagin, entre le clitoris et l’orifice urinaire »), soit les ennemis absolus de l’érotisme. Mais cela ne doit pas nous surprendre : comme je l’ai déjà dit, ces femmes ne seront tranquilles que quand tout désir (c’est-à-dire toute contradiction ; c’est-à-dire toute vie) aura été liquidé. C’est que, pour des raisons qu’il serait trop long d’exposer ici (et qui tiennent souvent à une histoire personnelle douloureuse — les féministes méritent à ce titre toute notre compassion), elles sont terrifiées par le mystère de l’altérité, de l’irréductible et merveilleuse dissymétrie entre hommes et femmes. D’où leurs éloges furtifs mais récurrents de la sexualité autoérotique (parodie de la sexualité prépubère), moyen d’esquiver la rencontre avec le différent, le jamais vraiment connu. Bien sûr, ces pauvres femmes sont libres de mener leur (non-)vie sexuelle comme bon leur semble. Mais de grâce, qu’elles cessent de harceler celles qui vivent une sexualité spontanée (mais y en a-t-il une autre ?), ne diluent pas leur plaisir dans des délires paranoïaques, et ne confondent pas jouissance et allégeance. Il en reste si peu ! La prétendue libération sexuelle (qui ne visait, on commence enfin à le comprendre, qu’à nous libérer du sexe), avec son exhibitionnisme obligatoire et sa manie de mesurer le plaisir, a déjà ruiné le désir de la plupart des humains. Mais les féministes ne s’arrêteront pas là ; à nous de nous demander si nous voulons vivre dans le monde puritain où elles nous mènent tambour battant.
Et je préfère ne pas connaître la réponse.